Mulgrew Miller, mort d'un maître modeste du jazz
Victime fin mai de deux accidents vasculaires cérébraux, le pianiste Mulgrew Miller, âgé de 58 ans, est décédé le 29 mai à Allentown, en Pennsylvanie. Il fait partie des géant sous-estimés du jazz. Ecoutez l'improvisation inspirée et généreuse de Jordu, sur son disque en solo. Rendons-nous à l'évidence : l'olibrius qui magnifie le thème de Duke Jordan improvisait dans la cour des grands. De quel chapeau sortait le colosse débonnaire à carure de basketteur? Celui qu'avaient découvert les spectateurs du Sunset en octobre 2010. Ou avec Ron Carter, la même année au New Morning, ahuris devant le calibre! Grâce au producteur du CD (Solo), Xavier Felgeyrolles, je rentrais en contact avec Mulgrew en 2010.
Interrogé par mail, le pianiste me répondait (je n'en reviens toujours pas de pareille humilité) qu'il ne se considérait pas comme un pianiste majeur! « Un artiste significatif, mettons ». Pardon d'insister, mais l'impro de Jordu m'en avait fichu plein l'entendement. « OK, OK, mais c'est parce que le morceau s'y prête. Très souple. » Aucune vantardise de la part du Monsieur. Aucune frime. Selon les dictionnaires, Mulgrew déclare qu'un passage à la télé d'Oscar Peterson au Joey Bishop Show, lui a inoculé la révélation. Mais il ne revendique pas d'héritage. Il reconnaît néanmoins ceci : « une pareille influence ne vous quitte jamais. Plusieurs aspects de son jeu m'ont marqué, à commencer par le toucher ».
Interrogé par mail, le pianiste me répondait (je n'en reviens toujours pas de pareille humilité) qu'il ne se considérait pas comme un pianiste majeur! « Un artiste significatif, mettons ». Pardon d'insister, mais l'impro de Jordu m'en avait fichu plein l'entendement. « OK, OK, mais c'est parce que le morceau s'y prête. Très souple. » Aucune vantardise de la part du Monsieur. Aucune frime. Selon les dictionnaires, Mulgrew déclare qu'un passage à la télé d'Oscar Peterson au Joey Bishop Show, lui a inoculé la révélation. Mais il ne revendique pas d'héritage. Il reconnaît néanmoins ceci : « une pareille influence ne vous quitte jamais. Plusieurs aspects de son jeu m'ont marqué, à commencer par le toucher ».
Les fées du Swing, du Gospel et du Blues, se sont penchés sur les phrases de Mulgrew. Il n'en dore pas son CV : « je ne considère pas mon style envahi par le Blues. Bien entendu, vous en trouverez dans mes racines. Les gens apprécient, d'autant qu'on discerne ces racines avec peine chez les pianistes de jazz actuels.». Idem pour les standards. Qu'il ne range pas au titre de répertoire définitif. “J'apprécie autant les compositions récentes”. Mais comment s'affranchir du goût des standards quand on admire Hank Jones? Mulgrew révérait l'artiste mort en mai 2010 : “Hank m'a encouragé sans cesse. Il a pratiqué jusqu'au dernier souffle. Un exemple.”
Mulgrew dépassait la notion de genre. Le personnage assurait le piano des Jazz Messengers d'Art Blakey, puis des formations de Mercer Ellington, Joe Henderson, Tony Williams, Betty Carter ou Woody Shaw! Il était attiré par le langage funambule de Bud Powell (“Il ne me quitte jamais”); autant séduit par Giant Steps de John Coltrane que par le traditionnel Body and Soul (“L'approche est différente, c'est tout”); épaté par les démiurges (“Les improvisations de Charlie Parker, John Coltrane et Miles Davis débordaient de Blues”). Musicien apprécié de studio, Mulgrew se montre aussi efficace à côté de Dave Holland, que de Freddie Hubbard, Johnny Griffin ou Bobby Hutcherson.
En définitive, son étoffe place le Seigneur dans la catégorie des virtuoses intemporels du piano, sur les traces d'Art Tatum, dont Mulgrew maîtrise le feeling et l'invention; de Teddy Wilson, dont il maîtrise la suprême élégance des transitions; de McCoy Tyner, pour le sens du développement harmonique; ou dans le jeu de son premier modèle Oscar Peterson, pour la griserie ininterrompue. Dans leur lignée, assurément.
J'ai revu Mulgrew en novembre 2011, avec le Golden Striker Trio de Ron Carter au festival de Reims Djaz 51. Sa réserve avant le concert m'avait sidéré. Discrètement concentré sur le fauteuil de loge, silencieux au milieu des bavardages, recueilli. Je me suis présenté. Il m'a salué avec une affabilité confondante. Le concert? Majestueuse prestation.
Dans le livret de Solo, le pianiste français Laurent de Wilde, élève de Mulgrew, pousse un cri d'amour : “on voit souvent l'histoire du jazz comme un arbre. Miller se situe au milieu, là où coule la sève. Le sens de la tradition le rattache au centre de cette musique”.
Mulgrew joue sur des centaines de disques. Se retrouve leader de plusieurs albums. Paradoxalement, il signait son premier disque tout seul en 2010. Pourquoi? “J'ai attendu le moment. J'ai trop de respect pour la discipline: le moment était venu”. CD splendide, enregistré en 2000 au Festival Jazz en Tête de Clermont-Ferrand, enchaînement de perles (Con Alma, de Dizzy; Yardbird suite, de Parker). Le disque de haut niveau pour grand public. Le musicien pour musiciens, né à Greenwood dans le delta du Mississipi la même année que moi (1955), a grandi à Memphis, sous l'ombre tutélaire de Phineas Newborn Jr, autre phénomène du clavier, au destin tragique. Mulgrew, le virtuose méconnu rejoint Oscar, comme il l'appelait, au paradis pianiste. Peterson n'éprouvera aucun mal à le reconnaître. Il n'en restait qu'un de la classe de Mulgrew Miller.
Bruno Pfeiffer
Mulgrew dépassait la notion de genre. Le personnage assurait le piano des Jazz Messengers d'Art Blakey, puis des formations de Mercer Ellington, Joe Henderson, Tony Williams, Betty Carter ou Woody Shaw! Il était attiré par le langage funambule de Bud Powell (“Il ne me quitte jamais”); autant séduit par Giant Steps de John Coltrane que par le traditionnel Body and Soul (“L'approche est différente, c'est tout”); épaté par les démiurges (“Les improvisations de Charlie Parker, John Coltrane et Miles Davis débordaient de Blues”). Musicien apprécié de studio, Mulgrew se montre aussi efficace à côté de Dave Holland, que de Freddie Hubbard, Johnny Griffin ou Bobby Hutcherson.
En définitive, son étoffe place le Seigneur dans la catégorie des virtuoses intemporels du piano, sur les traces d'Art Tatum, dont Mulgrew maîtrise le feeling et l'invention; de Teddy Wilson, dont il maîtrise la suprême élégance des transitions; de McCoy Tyner, pour le sens du développement harmonique; ou dans le jeu de son premier modèle Oscar Peterson, pour la griserie ininterrompue. Dans leur lignée, assurément.
J'ai revu Mulgrew en novembre 2011, avec le Golden Striker Trio de Ron Carter au festival de Reims Djaz 51. Sa réserve avant le concert m'avait sidéré. Discrètement concentré sur le fauteuil de loge, silencieux au milieu des bavardages, recueilli. Je me suis présenté. Il m'a salué avec une affabilité confondante. Le concert? Majestueuse prestation.
Dans le livret de Solo, le pianiste français Laurent de Wilde, élève de Mulgrew, pousse un cri d'amour : “on voit souvent l'histoire du jazz comme un arbre. Miller se situe au milieu, là où coule la sève. Le sens de la tradition le rattache au centre de cette musique”.
Mulgrew joue sur des centaines de disques. Se retrouve leader de plusieurs albums. Paradoxalement, il signait son premier disque tout seul en 2010. Pourquoi? “J'ai attendu le moment. J'ai trop de respect pour la discipline: le moment était venu”. CD splendide, enregistré en 2000 au Festival Jazz en Tête de Clermont-Ferrand, enchaînement de perles (Con Alma, de Dizzy; Yardbird suite, de Parker). Le disque de haut niveau pour grand public. Le musicien pour musiciens, né à Greenwood dans le delta du Mississipi la même année que moi (1955), a grandi à Memphis, sous l'ombre tutélaire de Phineas Newborn Jr, autre phénomène du clavier, au destin tragique. Mulgrew, le virtuose méconnu rejoint Oscar, comme il l'appelait, au paradis pianiste. Peterson n'éprouvera aucun mal à le reconnaître. Il n'en restait qu'un de la classe de Mulgrew Miller.
Bruno Pfeiffer
CD's
Mulgrew Miller : Solo (2010) - Space Time Records/SOCADISC
Ron Carter/Mulgrew Miller/Russel Malone : Golden Striker Trio Live at San Sebastian(2012) - CD + DVD Distribution Orkhestra
Crédit Photo
Philippe Ethelrede
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