Une crise cardiaque. Une mort banale pour un artiste qui a révolutionné la planète de la musique traditionnelle espagnole, qui a donné au flamenco un essor incroyable et mondial en l’épiçant d’autres sonorités, venues du jazz ou de la musique classique, qui a réinventé l’art de la guitare six cordes. Paco de Lucia est une figure de légende. Il le restera. Dans des décennies encore, sous quelque forme que ce soit, on écoutera et réécoutera ses albums et de jeunes musiciens s’inspireront de sa technique, de son inventivité, de son talent.
Paco de Lucia, Al Di Meola, John McLaughlin. Ces fameux albums, Friday night in San Francisco et Passion, Grace & Fire. 1981 et 1983. Trois guitares sèches, une sur le haut-parleur de gauche, l’autre à droite, la troisième au centre. C’était Paco, si je me souviens bien. Leur musique était formidable. Paco apporte aux deux musiciens de jazz son sens du flamenco, son atmosphère andalouse, ses fulgurances. les deux autres donnent à Paco le swing du jazz, la maîtrise de l’improvisation. Résultat : deux albums extraordinaires. Qui ont fait plus pour le flamenco que tous les disques folkloriques espagnols.
C’est d’ailleurs là l’œuvre forte de Paco de Lucia : tout en maintenant la tradition et l’histoire de la guitare flamenco, l’avoir ouverte à d’autres influences. Le jazz en particulier, grâce à Di Meola, McLaughlin, mais aussi Chick Corea, Larry Corryel. «  Même si je devais m’essayer à autre chose, cela ressemblerait toujours à du flamenco, disait-il. Perdre mes racines serait renier ma propre nature. C’est pourquoi je maintiens la tradition dans une main, tout en expérimentant d’autres choses dans l’autre. »
La tradition, il l’a apprise dès son plus jeune âge. A Algésiras, où il est né le 21 décembre 1947, il suit des leçons avec son père dès ses 5 ans. A 12 ans, il participe à un concours de flamenco : prix spécial ! A 14 ans, il est le guitariste de la tournée de la compagnie de danse José Greco, avec qui il voyage aux Etats-Unis. A New York, on l’encourage à mener une carrière de soliste. Premier album en 1965, à 17 ans, premier concert dans la foulée. Et, déjà, l’innovation dans la tradition du flamenco. Et l’ouverture au jazz, avec les artistes cités.

« L’âme de la musique »

Sa carrière va vers le flamenco-jazz mais revient toujours à son univers d’origine : il enregistre dix albums avec le chanteur Camarón de la Isla. Il a aussi enregistré le fameux Concerto d’Aranjuez de Joaquin Rodrigo. En 2004, son Cositas Buenas est considéré comme l’album latin jazz de l’année aux Billboard Latin Awards. En 2011, il sort son album enregistré en public, En Vivo. Best flamenco album de l’année.
«  Un album live, c’est un défi, disait-il.On peut sentir le souffle des musiciens. On peut faire l’une ou l’autre petite erreur, mais c’est totalement compensé par l’excitation qui se dégage. C’est l’adrénaline qui vous aide à trouver des solutions, souvent surprenantes et souvent meilleures que la composition originale.. On nn peut jamais surpasser l’énergie de la scène. En studio, on peut atteindre la perfection, mais l’âme de la musique, on ne peut la trouver qu’en concert.  » C’est avec le groupe de En Vivo que Paco de Lucia était venu à Bruxelles, en juin 2013, pour ce qui sera son dernier concert chez nous.
Paco de Lucia vivait moitié dans sa maison de la côte orientale du Mexique, moitié dans la vieille ville de Tolède. Sous les tropiques, il se relaxait : «  Chaque jour, je vais sur la plage, je nage et je joue avec mon chien Macondo. C’est comme ça que je me relaxe et que je me clarifie l’esprit. » Et qu’il pensait peut-être aussi à l’avenir du flamenco : «  Je suis fier de voir que la tradition du flamenco a survécu dans ce monde de pop et de rock. C’est même plus populaire qu’auparavant. C’est respecté et aimé partout dans le monde. Et je crois que c’est parce que cette musique touche quelque chose que l’auditeur a oublié ou perdu. J’espère vraiment que le flamenco sera là pour toujours et que des jeunes gars le révolutionneront encore et le moderniseront sans jamais perdre ses racines. »