14/05/2013
Blues : le fleuve du Vinyl
Certains musicologues connaissent le Blues comme d'autres le contenu de leur poche. C'est le cas de Stéphane Koechlin. Il a publié une vingtaine d’ouvrages, des biographies (John Lee Hooker, Bob Dylan, James Brown). Il chronique la musique. Le fils du fondateur de Rock & Folk écrit aussi des romans. Il connaît le Blues. D'ailleurs il prétend avoir personnellement connu Robert Johnson, héros des années trente. Cette propension du personnage à la légende prouve s'il en était besoin que le Blues est dans ses gênes, comme Satan habite le guitariste Robert Johnson, depuis que ce dernier assure devoir son art au Malin. Robert Johnson fut assassiné en 1938 par l'amant d'une conquête (il lui fit passer un verre d'alcool empoisonné). A regarder le beau livre Blues Vinyls, on imagine a priori un défilé de pochettes de disques. En effet, le gros pavé de 250 pages se présente comme un album d'images. C'est le cas. Mais il contient bien davantage. Le texte de Koechlin (le tiers de la surface du livre) permet à tout un peuple de revivre.
Du peuple des esclaves que les négriers balancent sur les côtes américaines, à celui qui passe en vedette au festival de Montreux à la fin du siècle dernier, une musique incarne l'âme d'une civilisation. Comment en dater l'origine? Récit. Un bruit bizarre arrête le futur président des Etats-Unis, Thomas Jefferson qui sillonne sa plantation. Il cite dans ses Notes de Virginie(1786). "En musique les Noirs sont généralement plus doués que les Blancs. Ils ont une oreille très juste pour la mélodie et le rythme, et certains savent inventer des petits airs". Voilà bien, pour LeRoi Jones, auteur du classique Peuple du Blues, l'apport de l'esprit du Noir américain à son pays : le Blues. L'ouvrage de Koechlin fourmille d'anecdotes hautes en couleur sur la genèse de l'idîome, comme celle de la mélopée de quai de gare qui inspira le Saint Louis Blues à William Christopher Handy (1914), et, deux ans plus tard, Memphis Blues... une commande du parti démocrate!
On apprend la vérité sur la mort de la chanteuse Bessie Smith (à cause du retard de l'ambulance après un accident de voiture). J'ignorais que Charley Patton jouait de la guitare avec les dents dans les années vingt (déjà...). Entre rencontres de figures du blues, errances, et vie dans les clubs enfumés, on suit l'ascension de Muddy Waters aka McKinley Morganfield (à droite sur la couverture du livre). On écoute son premier succès, Can't be satisfiedsur le petit label Aristocrat en 1948, racheté deux ans plus tard par les frères Chess, deux limonadiers venus de Pologne. Je découvre comment John Lee Hooker, pour sa première séance pour le label Sensation, cloua sous ses chaussures une capsule de Coca Cola pour marteler le rythme du pied, préfigurant la recette de cinquante ans de succès! Ages d'or, avènement du Roi (BB King), vies fracassées, s'enchaînent au gré des périodes, jusqu'à la découverte par les rockers des trésors enregistrés, puis leur réhabilitation des démiurges du Blues à partir des années soixante.
Koechlin rappelle les propos du guitariste des Rolling Stones, Keith Richards sur Robert Johnson, dans son autobiographie Life : "Ce que j'entendais me laissait sur le cul. Le jeu de guitare, les paroles, l'interprétation, tout était à un autre niveau. C'était troublant parce que ce n'était pas un groupe, mais un type qui jouait tout seul. Robert Johnson était un homme-orchestre. Certains de ses morceaux sont construits comme du Bach." Un passage salue les bluesmen qui s'installèrent en France, comme Memphis Slim, ou Luther Allison. Un autre ceux qui "suivirent" Hendrix, bluesman s'il en est. Devenu une sorte d'idéal stylistique, le Blues a dorénavant gagné droit de cité. Les 500 pochettes d'époque reproduites marquent les étapes de la consécration. Willie Dixon, autre icône, peut maintenant brosser la perspective : "Avez-vous déjà médité sur un paradis du Blues? Où les gens qui chantaient le Blues pourraient le chanter toute l'éternité".
Bruno Pfeiffer
Blues Vinyls - Editions Stéphane Bachès
Bruno Pfeiffer
Blues Vinyls - Editions Stéphane Bachès
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