Depuis janvier, hélas, nous avons perdu le caricaturiste hors-pair Jean Cabut, au coup de crayon identifiable entre mille. Un personnage croqué par Cabu portait une marque. SA marque. Unique. Sait-on assez que, fervent amateur de swing, il adorait dessiner les jazzmen? Je ne me fais aucun souci : le dessinateur exceptionnel est maintenant assis là-haut, à la droite de Duke qu’il admirait tant, dans les verts pâturages, en train d’écouter un des concerts sacrés. L’exposition «
Cabu Swing» que le festival
Jazz in Marciac lui a consacré cet été 2015, au 1er étage de la Grange de la Maison Guichard, dans le village, m’a touché. Quel projet réussi! Main dans la main avec l’association
La Maison du Duke, l’amour de Cabu pour le jazz retentit sur la longueur de l’accrochage de 70 planches. On savait que, depuis le début de sa carrière au quotidien régional L’Union de Reims, le grand Duduche hantait clubs et festivals. Esquisses fidèles (oh, cette posture du Duke!), estampes différées sur photos, expressions imaginaires de grands solistes, confèrent son soleil à la musique qu’on apprécie tant. Le jazz sans Cabu sonnerait avec moins d’éclat. Le génial croqueur nous lègue le clin d’oeil permanent, l’affection inchangée, une bienveillance qui caresse, l’envie contagieuse de danser. Le jour de l’attentat, mon copain Gérard, du
Canard Enchaîné m’avait fendu le coeur. Il avait pleuré toute la journée. Je l’entends encore : «
toute la rédaction avait perdu le plus gentil des camarades, un mec en or».
Plusieurs éditeurs de CDs ont sollicité les talents de l’artiste. Je retiens la sortie dans la remarquable collection
BDJazz,
Le Jazz de Cabu. Deux CD longue durée, une compilation de dessins de jazzmen, fournie (et fameuse). Un superbe travail d’édition. D’Armstrong à Miles, morceaux de choix. En prime le morceau favori de Cabu, le manifeste ellingtonien :
It Don’t Mean a Thing, if it Ain’t Got that Swing. Ici l’interprété par la vocaliste Sylvia Howard, version 2014, arrangée par Christian Bonnet, avec le formidable Jean-Jacques Taïeb à la clarinette. Du velours.
Tant qu’on y est, mention de quelques parutions ducales, recues 5 sur 5. Eh oui, mon Duke, tu n’as pas fini de faire bouger!
- The Complete Columbia Studio Albums vol 2 (1959-1961), un coffret de 10 CD de Duke, autant de chefs d’oeuvre, comprenant l’éblouissante JAZZ PARTY IN STEREO, où... Dizzy Gillespie s’envole comme un pétard! Et la suavissime UNKNOWN SESSION, où Johnny Hodges fait fondre trois icebergs avec une seule note. (SONY/Legacy)
- LE SWING POUR OBJECTIF L’album de photos argentiques Noir/Blanc du pianiste Philippe Baudoin, prises au coeur de l’action (parmi les classiques Duke à Chaillot en 71; Monk à Pleyel en 69; Paul Gonçalves en studio en 69 avec Gérad Badini). Baudoin a enregistré avec Sam Woodyard! (Editions du Midi, Paris 18e)
- For Duke and Paul, le joli CD-Hommage d’André Villéger (ténor sax) et Philippe Milanta (piano), tous deux sociétaires du Duke Orchestra de Laurent Mignard. (Camille Productions)
Bruno Pfeiffer