vendredi 14 août 2015

A Marciac, Archie Shepp sort Attica de prison


(MISE À JOUR : )
La vision éblouit. Nous sommes sous le chapiteau de Jazz in Marciac. Bienvenue devant l'Attica Blues Big Band d'Archie Shepp, 17 musiciens. Vision d’éclat, de cathédrale, de victoire sur l’oubli. Le groupe adhère au projet d’un penseur qui refuse l’oppression. Archie s’est engagé à célébrer le souvenir de la rebellion de la prison d’Attica. Les détenus, horrifiés par la mort de George Jackson, un des leaders des Black Panthers, abattu le 21 août 1971 au pénitencier californien de San Quentin, lors d’une soi-disant tentative d’évasion, prennent les gardiens en otage. Ils ne supportent plus les traitements inhumains, s’emparent de la prison. La police donne l’assaut le 13 septembre 1971. Un carnage (39 morts, dont 10 gardiens... descendus par la police!). L'Attica Blues Big Band est né en 1972, juste après la rebellion. La communauté vit toujours. Shepp ne lâche pas le morceau. «La prison est devenu un business : il ne s’agit plus de réinsérer les détenus, mais de rentabiliser une affaire. Il ne s’agit plus d’hommes. Il s’agit d’argent, c’est infect», s’indigne Archie, rencontré chez lui, il y a un an. L’intellectuel veut transmettre le message spirituel et politique des rebelles à travers l’oeuvre artistique. Il manifeste en cela un talent visionnaire. Pas besoin d’arguments. Le matin même du concert de Marciac (le 9 août), la chaîne BFM énonce une statistique (les médias parlent de l’anniversaire des événements de Ferguson). J’en reste ahuri : «un Noir désarmé a 7 fois plus de chances de se faire tuer par la police américaine qu’un Blanc».
En 1972, peu après les événements, le batteur Beaver Harris s’adresse à Shepp : «on ne peut plus passer outre, tu dois monter quelque chose». Shepp rassemble aussitôt une formation. Gérard Terronès l’enregistre au Palais des Glaces. Un copain du percussionniste de l'Art Ensemble of Chicago, Don Moye, a perdu un frère à Attica. Moye accompagne aujourd’hui l'Attica Blues Big Band. Parallèlement au concert, Ciné JIM 32, à l’ombre de l’église du village de Marciac, projette The Sound and the Fury, de Martin Sarrazac et Lola Frederich, sur la révolte. Dans le film, les archives de l’insurrection croisent une création du groupe à Chateauvallon, en 2012. On participe à la mise en place du concert. Déjà les échanges prolifiques, l’esprit de solidarité, le battement de coeur d'Attica Blues Big Band version 2015.
A Marciac, les musiciens donnent le meilleur. M’ont impressionné le guitariste Pierre Durand, infaillible dans la diversité rythmique, et le tromboniste Sébastien Llado, dont le cri, sur le rappel Attica Blues, ébranle la salle. Archie le remerciera («My Main Man»). Quant au jeu de saxophone d’Archie, quel son! J’ai renoncé à faire le compte des spectateurs, confrères, collègues musiciens qui m’ont répété, ébahis : «il n’a rien perdu» (Archie est né en 1937 en Floride). Pourquoi JIM a-t-il attendu si longtemps avant de programmer Archie, qui vit à Paris? «Cela a failli se réaliser dix fois», commente Jean-Louis Guilhaumon, directeur artistique du festival. «Tantôt la formation n’était pas prête, tantôt des problèmes de dernière minute». Cette fois Archie était bien là. Et pas seul.
Bruno Pfeiffer
CD
Archie Shepp Attica Blues Orchestra, I Hear the Sound(Archieball/Harmonia Mundi-2013)
Archie Shepp’s Attica Blues Big BandLive At The Palais Des Glaces (Blue Marge, 1979)
CONCERT
Archie Shepp (avec Melvin Van Peebles & The Heliocentrics, Jazz à la Villette, La Grande Halle, 8 septembre 2015

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