LE MONDE | • Mis à jour le | Par Sylvain Siclier
Sa double initiale B. B., pour Blues Boy, lui avait été donnée à la fin des années 1940, lorsqu’il animait un court programme hebdomadaire dans une radio de Memphis (Tennessee). Et son nom de naissance, King, le roi, peut être vu comme ayant été un signe favorable à son destin. B. B. King était probablement le musicien de blues le plus célèbre dans le monde, un « ambassadeur » du genre, selon les termes du journaliste Sébastien Danchin dans la biographie qu’il a consacrée au guitariste et chanteur (B. B. King, Fayard, 2003). B. B. King est mort jeudi 14 mai, à Las Vegas (Nevada), a annoncé son avocat, vendredi 15 mai, dans un communiqué diffusé par l’agence Associated Press. Agé de 89 ans, B. B King avait été hospitalisé en avril à la suite d’un malaise et était soigné depuis début mai à son domicile, en raison de complications de son diabète.
Avec quinze Grammy Awards depuis 1971 et un doctorat honorifique de la Yale University (New Haven, Connecticut) en 1977, il était considéré comme un artiste de première importance culturelle et avait été récompensé comme tel par des présidents des Etats-Unis (Bill Clinton lui remet les prestigieux Kennedy Center Honors en 1995, George W. Bush accroche à son cou, en 2006, l’ordre le plus élevé pour un civil, la Presidential Medal of Freedom)… Ce ne sont que quelques-uns des honneurs décernés à celui dont le quotidien, alors qu’il était encore enfant, consistait à ramasser le coton et à travailler dans les champs.
Riley Ben King est né le 16 septembre 1925 à Itta Bena, une plantation à quelques kilomètres à l’est de la ville d’Indianola (Mississippi). Sa mère est alors âgée de 18 ans, son père guère plus. Elle partira à Kilmichael, à une petite centaine de kilomètres, avec son fils quatre ans plus tard. Elevé par sa grand-mère et par sa mère, B. B. King n’a que 9 ans lorsque cette dernière meurt. Son environnement musical est constitué de chants de travail et du gospel qu’il entend à la maison et à l’église. En 1943, devenu ouvrier agricole, il est appelé sous les drapeaux. Les propriétaires de plantations ayant passé un arrangement avec l’armée pour récupérer rapidement leurs employés, son service militaire, durant lequel il découvre le jazz, est écourté. Avec une guitare, dont il a appris les rudiments, il commence à chanter et à jouer dans la rue, lors de ses jours (et nuits) de congé.
En mai 1946, B. B. King part pour Memphis, décidé à vivre dorénavant de la musique. Il aurait pu choisir de partir au sud, à New Orleans, berceau musical du jazz, ou au nord, à Chicago, capitale du blues urbain. Mais il n’y connaît personne, alors qu’à Memphis réside un cousin, Bukka White (1909-1977), guitariste et chanteur. Après neuf mois, en dépit des contacts et de l’aide de Bukka White, faute d’avoir percé, il repart travailler sur une plantation. Puis retourne Memphis à la fin 1948. Cette fois, il trouve un engagement quotidien dans un club et un passage hebdomadaire dans une station de radio, WDIA, pour laquelle Il interprète deux ou trois morceaux et des refrains pour des publicités, et annonce ses concerts à venir.
C’est peu de temps après que B. B. King va baptiser ses guitares du nom de « Lucille ». Un soir dans un club de l’Arkansas, une bagarre entre un homme et sa femme, prénommée Lucille, provoque un incendie. B. B. King sort en courant, pour s’apercevoir qu’il a oublié sa guitare, son seul instrument alors et son gagne-pain. Il retourne dans le club en feu, récupère l’instrument. Trop heureux de ce sauvetage, il décide alors de donner ce prénom à ses guitares. Lesquelles – des premières Fender et Gretsch de ses débuts, au modèle ES-355 de Gibson qu’il adopta définitivement à la fin des années 1950 – eurent droit à une composition en 1968 dans l’album du même nom, où est racontée l’anecdote.
Jusqu’à la fin 1951, B. B. King verra grandir sa réputation entre des concerts dans différents lieux de la ville, ses passages à la radio et de premiers enregistrements, pour Bullett puis RPM, l’un des labels d’une importante compagnie phonographique californienne à l’époque, Modern Records, dirigée par les frères Bihari (Lester, Julius, Saul et Joseph). Le succès arrive à la fin de l’année 1951, avec la parution d’une reprise par B. B. King de Three O’Clock Blues de Lowell Fulson (1921-1999). L’interprétation de B. B. King va rester dans le haut des classements des meilleures ventes de disques de rhythm’n’blues durant dix-sept semaines, dont cinq en numéro 1. B. B. King en fera l’un de ses thèmes fétiches, le jouant régulièrement en concert et le réenregistrant à plusieurs occasions.
Rapidement, la fratrie Bihari, et plus particulièrement Julius, qui va superviser dans les années qui suivent la plupart des enregistrements de B. B. King, font repartir le guitariste et chanteur en studio. Après quelques titres qui ne restent pas mémorables, son deuxième gros succès, à l’automne 1952 (dix-huit semaines dans le haut des classements), You Know I Love You, est une ballade, dans laquelle c’est la voix du chanteur qui domine avec un accompagnement où le piano prend le pas sur la guitare. Les producteurs de King s’efforcent de développer cette option de crooner, mais son public reste attaché à sa part blues.
C’est généralement avec la chanson Blind Love, enregistrée en juin 1953, que les spécialistes du blues identifient l’affirmation du style de B. B. King à la guitare que Sébastien Danchin résume ainsi : « le véritable prolongement de sa voix ». A cela s’ajoute une section de vents, qui donne de l’ampleur à l’orchestre, souvent restreint dans le blues à une rythmique pour accompagner le soliste. Cette présence des vents sera caractéristique de la plupart des formations de B. B. King.
Les succès se suivent alors : Please Love Me (1953), You Upset Me Baby (1954), Everyday I Have The Blues (1955, qui va devenir un autre de ses thèmes de prédilection, souvent joué en ouverture de ses concerts, comme Let The Good Time Roll), Bad Luck (1956), Sweet Little Angel (1956), Sweet Sixteen (1960)… De quoi faire de B. B. King, au milieu des années 1950, le plus important vendeur de blues – un statut qu’il conservera peu ou prou. Il se produit en concert au moins six jours sur sept. Au cours des années, il pourra renégocier à la hausse son contrat avec les frères Bihari – qui font passer King de RPM Records à Kent, un autre de leurs labels, en 1958. Il a droit à des arrangeurs, ses enregistrements sont de plus en plus soignés. En tournée, à sa quinzaine de musiciens réguliers s’ajoutent chauffeur, valet de chambre, costumier…
En 1962, après plus de dix ans avec Modern Records, B. B. King signe avec ABC Records, filiale disque du réseau national de télévision et de radio. La compagnie est l’un des poids lourds du secteur. Les directeurs artistiques d’ABC Records vont essayer de rééditer avec King la méthode qui leur a réussi avec le pianiste et chanteur Ray Charles : être reconnu par un plus large public – comprendre le public blanc –, avec des grands orchestres de cordes, un répertoire plus policé que celui du rhythm’n’blues. Mais pas plus que lors de tentatives similaires chez Modern, qui avait moins de moyens, cette tentative de rendre B. B. King plus proche de la grande variété ne trouve de retentissement phonographique. D’autant que ses concerts restent dans les grandes lignes du blues électrique pour lequel il est apprécié. A partir du milieu des années 1960, B. B. King retrouve sa marque de fabrique. Et, dans les années qui suivront, il restera dans ses grandes lignes stylistiques, allant de temps à autre piocher dans le rock ou la soul quelques éléments d’ornementation.
Dans le même temps, il est présenté par nombre de musiciens blancs du rock, marqués par le blues afro-américain, comme étant un musicien d’importance et d’envergure. Jimmy Page, Eric Clapton, John Mayall ou Michael Bloomfield (1943-1981), parmi d’autres, vantent ses mérites. Lors de la partie américaine de leur tournée internationale en novembre 1969, les Rolling Stones invitent Terry Reid, B. B. King et Ike & Tina Turner à jouer en ouverture de leurs concerts. Dans son autobiographie Blues All Around Me (Avon Books, 1996), B. B. King estime que c’est de cette participation que date sa reconnaissance par le grand public blanc. Dès lors, s’il a visité les moindres recoins des Etats-Unis depuis une vingtaine d’années, B. B. King va parcourir de plus en plus régulièrement l’Europe – ses premiers concerts en France et en Grande-Bretagne avaient eu lieu début 1968 –, l’Asie, l’Amérique du Sud, l’Océanie et, dans une moindre mesure, le continent africain.
En décembre 1969 sortira ce qui reste son dernier grand succès, et probablement la chanson à laquelle B. B. King est le plus identifié, The Thrill Is Gone, composition de Rick Darnell et Roy Hawkins qui date de 1951. Elle sort en 45-tours et figure dans l’album Completly Well (ABC-Records). La discographie de B. B. King va prendre une allure désormais sans grande surprise. S’y mêlent des enregistrements de concert, dont certains lors de prestations dans des prisons, et en studio des albums de blues avec son orchestre régulier puis de plus en plus régulièrement à partir des années 1990 des disques avec des invités prestigieux du rock ou de la soul ou des vedettes pop. On le retrouvera toutefois dans une approche presque rustique dans l’album One Kind Favor (Geffen Records), en 2008, pour lequel il recevra son dernier Grammy Award.
Au printemps 1979, comme Elton John à peu près au même moment, B. B. King part en tournée d’une vingtaine de dates, dans l’alors encore Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Pour le roi du blues comme pour la vedette de la chanson pop, ce sont des premières. C’est lors de cette tournée, comme le rappelle Sébastien Danchin, que B. B. King va prendre l’habitude de lancer dans les rangs du public des médiators portant son nom gravé. Il avait également ouvert en 1991 le B.B. King’s Blues Club, sur Beale street, la rue du blues de Memphis. Une marque qui va se développer, avec plusieurs autres établissements, à Los Angeles, Nashville… et le dernier en date à Las Vegas, en 2009.
A partir de 2006, il part en tournée d’adieu. B. B. King, ménage peu à peu ses interventions lors de ses concerts, laissant différents musiciens de son orchestre prendre des parties solistes plus fournies. Mais même affaibli, son jeu de guitare restait incisif et expressif. Et toujours, dans ses costumes brillants, il se montrait attentif à présenter un spectacle avec ses rituels, la main sur l’épaule de ses musiciens lors de son entrée en scène, le lancer de médiator, et un grand sourire radieux pour servir avant tout la musique, sa musique, le blues.
16 septembre 1925 : Naissance à Itta Bena (Mississippi)
1948-1949 : Premiers concerts réguliers à Memphis (Tennessee) et dans les environs. Anime une émission de radio
Automne 1952 : premier succès « Three O’Clock Blues »
1953-1960 : enregistre la plupart de ses succès dont « Everyday I Have The Blues »
1968-1969 : suscite l’intérêt du public blanc
Décembre 1969 : parution de sa chanson la plus célèbre « The Thrill Is Gone »
2006 Début de sa tournée d’adieu
14 mai 2015 Mort à Las Vegas (Nevada)
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/culture/article/2015/05/15/mort-de-la-legende-du-blues-b-b-king_4633955_3246.html#4bmkJtE5xfxwUE4E.99
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